La pierre sèche, diamant brut des Monts d’Ardèche

Sentier caladé, ruelle pavée, paysage étagé en terrasse, escaliers volants et voûtes, béalière irriguant les châtaigneraies… ce petit patrimoine recèle un trésor d’ingéniosité, issu d’un savoir-faire séculaire ! La technique de la construction en pierre-sèche est un patrimoine immatériel reconnu par l’UNESCO et c’est aussi l’identité des Monts d’Ardèche. Un savoir-faire toujours plus d’actualité pour les pentes ardéchoises…

La construction en pierre sèche repose sur un savoir-faire ancestral : il s’agit de choisir puis d’agencer des pierres sans utiliser aucun autre matériau. Les structures en pierre sèche sont toujours réalisées en parfaite harmonie avec l’environnement à partir des matériaux locaux. Cette technique de construction sans liant, témoigne d’une relation harmonieuse entre l’Homme et la nature et se transmet entre les générations. Dans les Monts d’Ardèche, la pierre sèche a façonné les paysages et permis aux populations de vivre dans les pentes et de les cultiver durablement.

Les terrasses agricoles, une adaptation à la pente

Dès le Moyen Age, les ardéchois ont créé des parcelles en étage pour cultiver la pente. Ces étages nécessitent des soubassements solides, réalisés en pierre sèche. Cette technique est d’autant plus présente que les pentes sont prononcées. On réalise ainsi des planches plus étroites et donc plus nombreuses pour accroître l’espace agricole.

Les murets de pierre accumulent la chaleur solaire pendant la journée et la restituent pendant la nuit, favorisant la croissance et le développement des plantes. Plus la planche est étroite, plus la terre et l’air ambiant se réchauffent, atout non négligeable pour l’agriculture de haute montagne, que ce soit dans les Andes ou dans les Monts d’Ardèche. La production de la pomme de terre de l’Eyrieux en est un bel exemple. Cette technique évite aussi le ruissellement des eaux de pluies, freine l’érosion des sols et favorise une meilleure infiltration de l’eau de pluie indispensable aux cultures.

Ces structures en pierre-sèche racontent l’histoire locale en témoignant des méthodes et des pratiques utilisées par les populations au cours des temps historiques. Il est ainsi possible de comprendre comme s’organisaient les espaces de vie et de travail en optimisant les ressources naturelles locales et humaines.

Du Pérou à l’Ardèche

C’est fascinant comment des civilisations, pourtant éloignées dans le temps et l’espace, ont trouvé la même solution technique pour résoudre leur problème d’aménagement. Il y a quelque chose à la fois d’universel dans les ouvrages en pierre sèche bien qu’ils soient finalement fortement ancrés dans leur territoire. Une dualité qui donne du sens au geste de l’artisan-artiste et qui récrée du lien entre l’Homme et son Environnement. Oui, fascinant…

Eric Vincens
Normalien de l’École normale supérieure de Cachan, agrégé de génie civil, il est enseignant-chercheur à l’École Centrale de Lyon depuis 2004. Il développe des recherches sur le comportement mécanique des sols et des ouvrages géotechniques, notamment les ouvrages en pierre sèche. Pour montrer leur résistance et la possibilité d’usages contemporains en soutènement routier ou autre.

Les calades

Les calades sont des voies constituées en pierres toutes en contact mécanique les unes avec les autres. L’aménagement des sols par empierrement est sans doute l’une des plus anciennes inventions qui remonte à la préhistoire.

Bâtis à même le sol parfois sur lit de sable et de chaux, trois types de calade peuvent être distingués :

  • La calade urbaine. Toutes les rues des villages des Monts d’Ardèche ont été pavées, caladées. Quelques communes profitent des travaux de voirie pour les restaurer. Photos Loubaresse et Bise
  • La calade « péri-urbaine » reliait le village aux champs ou aux points d’eau. Ces voies empierrées ont souvent disparues fautes d’usages. Il en subsiste de beaux exemples. A Sainte Marguerite Lafigère des béalières et calades ont été restaurées par la commune.
    Photo Ste Marguerite
  • Les calades rurales sont les plus spectaculaires car elles peuvent courir sur des dizaines de kilomètres. Elles reliaient les bourgs et hameaux et étaient les principaux axes de communication pour la vie économique du territoire. Elles sont souvent associées à l’histoire religieuse des Monts d’Ardèche comme la célèbre (connue dans le monde entier…) Route des Dragonnades.

Granite, grès, basalte, phonolite, schiste, calcaire vitrine de la géologie du territoire

L’histoire géologique riche et mouvementée des Monts d’Ardèche est à l’origine du territoire actuel. Dans les zones de pentes, l’Homme s’est adapté à la morphologie accidentée due aux grands mouvements tectoniques et à l’érosion qui a créé ces reliefs. En construisant des terrasses en pierre sèche, il a dompté la pente et cultivé le châtaignier adapté à ces sols. Dans le piémont, la culture de l’olivier ou de la vigne a trouvé son épanouissement dans les couches sédimentaires des grès du Trias. Sur la montagne, les grandes coulées volcaniques ont fertilisé des sols très favorables à l’élevage et les pointements phonolitiques ont fourni la matière première à la construction des fermes et de murs abritant l’activité pastorale.

Peu de territoires dans le monde présentent une telle concentration de roches si diverses. C’est notamment ce qui a valu au Parc la labellisation en tant que Géoparc mondial UNESCO en 2014.

La pierre sèche, une technique de construction de la transition écologique

Dans la construction contemporaine, l’eau, le sable et le ciment sont les trois matières premières indispensables. Elles sont devenues rares, chères, consommatrices d’énergie notamment pour la fabrication du ciment. Elles alourdissent considérablement l’empreinte carbone des constructions. Or la construction en pierre sèche se réalise sans aucun liant et ne nécessite donc pas d’eau, ni autre matière. Son impact carbone est proche de zéro. La pierre est souvent issue d’un périmètre proche du chantier, c’est un matériau géosourcé dont l’impact carbone lié au transport est très faible. Quand à sa durabilité, elle n’est plus à démontrer. Il est assez courant de trouver des constructions en pierre sèche ayant traversé plusieurs siècles sans avoir subi de dommages.

D’où viennent les pierres ?

La pierre est un matériau réutilisable à l’infini et sans transformation, son réemploi sur chantier s’avère simple. Quoi de plus facile que de remonter un mur avec les pierres originelles ? les doigts dans le nez… Lors de la reconstruction d’un ouvrage, la quantité de pierres manquantes est évaluée à un tiers. Il est donc primordial d’anticiper et de prévoir un approvisionnement complémentaire. L’approvisionnement peut combiner plusieurs sources :

• Réemploi des pierres sur site
• Collecte de pierres issues d’éboulis, de pierriers, à proximité du site
• Pierres de récupération issues de la démolition de bâtiments, de travaux de terrassement, de voirie…
• Épierrement des champs
• Carrières locales
• Sites d’extraction de petite taille

Attention, la collecte de pierres est soumise à réglementation et à demande d’autorisation : auprès des propriétaires des parcelles, de l’Office Nationale des Forêts (ONF), de la Police de l’eau (DDT)…. Lors d’un approvisionnement en carrière, la demande portera sur des pierres « tout-venant », c’est à dire des pierres brutes, non triées et non calibrées. Toutes les dimensions de pierres sont utiles pour construire un mur.

La biodiversité s’épanouit dans nos murets

Toutes les anfractuosités du mur offrent un refuge à bon nombre d’espèces animales. Une végétation spécifique vient s’y installer et coloniser le mur : la chélidoine, connue sous le nom de plante à verrue et plus répandu encore, le nombril de Vénus, petite plante grasse et comestible.
Ces murs abritent aussi toute une petite faune comme le lézard ocellé qui se protège des prédateurs, et capte toute la chaleur emmagasinée par les pierres. Il n’est pas rare de le voir bronzer se réchauffer, je ne pense pas qu’il bronze… sur sa pierre préférée ! Si vous avez des travaux à réaliser sur un ouvrage en pierre, n’hésitez pas à prendre contact avec le Parc ou l’association environnementale de votre secteur afin de connaître la meilleure période de l’année pour intervenir sans déranger cette espèce protégée (ou élargir la recommandation à toutes les espèces).

La pierre-sèche, un drain naturel

Par son procédé de construction, les constructions en pierre sèche permettent de drainer l’eau et de ralentir son écoulement.. En période d’épisodes cévenols, ces constructions permettent d’étaler le pic de crue et de retenir la terre qui pourrait dévaler les pentes et laisser par endroits la roche à nue. La perméabilité des murs de soutènement assure aussi leur solidité en diminuant la pression exercée par l’eau qui peut s’infiltrer et circuler entre les pierres.

Ces atouts liés à la perméabilité sont aussi observés sur les calades en milieu plus urbain. Bien souvent dans les villages , les travaux de remplacement des revêtements de sol en bitume des ruelles par une calade, ont permis à la chaussée de respirer, de jouer son rôle d’éponge et de régulation de l’humidité. Les murs des maisons riveraines se sont donc trouvés assainis, les remontées d’humidité par capillarité se sont arrêtées.

Un coup de pouce pour la pierre-sèche

Parfois oublié, abandonné, recouvert de végétation, écroulé… le bâti en pierre sèche disparait petit à petit. Pour le Parc, la préservation de ce patrimoine en pierre sèche est à la croisée de ses missions : les paysages, l’agriculture, la biodiversité, les patrimoines et savoir-faire et développement économique local. Depuis sa création le Parc s’attache ainsi à promouvoir ce patrimoine et accompagne la structuration de la filière de professionnels, de l’approvisionnement à la construction.

Le Parc des Monts d’Ardèche soutient chaque année financièrement la réalisation et la restauration d’ouvrages en pierre sèche. Depuis 2012, cet accompagnement ouvert aux collectivités et aux associations a permis de nombreuses restaurations avec plus de 40 chantiers réalisés pour un montant de travaux dépassant les 600 000 euros.

En plus des interventions urgentes pour une réparation de brèche dans un mur de soutènement routier par exemple, le Parc a contribué aussi à la restauration de grands ensembles paysagers.

  • Autour du magnifique site de la Barèze à Veyras, ont été menées des campagnes de travaux pour réparer quelques ouvrages abîmés, notamment un escalier permettant d’accéder à des parcelles situées plus en amont.
  • A Arcens, c’est un site exceptionnel oublié qui a été redécouvert et sauvé in extremis d’une dégradation certaine. Site construit à la fin du XIXème siècle sur le versant Sud du géosite du rocher volcanique de Soutron, cet espace entièrement clos servait de jardin vivrier aux habitants. Le Jardin clos du Pré nouveau a été entièrement planté de pin douglas au milieu du XXème siècle. L’abattage de ces arbres arrivés à maturité aurait pu complètement détruire le site. La mobilisation de la commune et des associations locales a permis de restaurer ce bâti patrimonial en phonolite. Dans près de 1600m², entièrement ceinturé par des murs en pierre volcanique, cet ensemble est très riche et d’une facture exceptionnelle, escaliers volants majestueux pour passer d’une terrasse à l’autre, abri voûté, écluse enterrée…. Ce site va pouvoir retrouver sa fonction originelle. En effet, la municipalité et les associations du village souhaitent recréer un jardin vivrier et un verger conservatoire.

Aides pour les terrasses agricoles

Depuis 2020, les agriculteurs peuvent bénéficier d’une aide financière du Parc afin de restaurer des terrasses abandonnées et en friche. Une grande partie des espaces agraires situés en fond de vallée et en plaine ayant été captée par l’urbanisation, la reconquête de ces terrasses oubliées est plus que jamais nécessaire.

Apprenti murailler

Pour assurer la transmission de ce savoir-faire traditionnel, le Parc encourage la réalisation de chantier-école, de chantier-formation et en propose tout au long de l’année sur les différents secteurs des Monts d’Ardèche. D’une durée moyenne de 5 jours, ces stages sont ouverts à tous : habitants, professionnels, employés communaux… Adaptés à chacun, ils permettent de pratiquer les différentes étapes de construction, du tri des pierres jusqu’à la pose de la dernière, vous manipulerez le matériau et les outils et apprendrez ainsi les bases du métier de murailler.

Si vous êtes intéressés pour participer à ces chantiers, n’hésitez pas à nous contacter pour connaître les prochaines sessions.

Pour la réalisation de certaines constructions en pierre sèche, des chantiers d’insertion ont été organisés. Les collectivités ont pu déléguer les travaux à des associations locales qui œuvrent pour ces publics en difficulté en faisant découvrir ce métier passionnant.

De nouveaux usages pour la pierre sèche

La préservation de ce patrimoine ainsi que la transmission de ce savoir-faire doivent aussi s’appuyer sur de nouveaux usages. Le Parc réfléchit à des ouvrages plus contemporains, répondant à de nouveaux besoins.

Même si nos villages sont entourés de patrimoine en pierre sèche, ce procédé de construction est peu utilisé dans les aménagements publics. Le mobilier urbain pourrait par exemple faire référence à ce patrimoine, des calades aux motifs artistiques pourraient être proposées sur certaines places.

Les terrasses en friches aux abords des centre-bourgs pourraient être proposées aux habitants, leur donnant accès à un jardin récréatif et pourquoi pas vivrier. Ces nouveaux espaces pourraient ainsi redonner de l’attractivité aux logements privés de jardin, créer de nouveaux espaces publics partagés, sauvegarder le patrimoine paysager de terrasse par un entretien régulier et constituer des espaces coupe-feu aux abords des zones habitées…

A lire

  • Le lithoscope est un outil d’interprétation de la diversité des roches que vous pourrez observer sur le territoire du Parc aussi bien dans la nature que dans le bâti.
  • Memento Pierre-sèche
    Ce document présente les techniques de construction des terrasses en pierre sèche et rappelle les règles de l’art. Ce guide permet d’appréhender les premiers gestes, de se familiariser avec les bases pour monter un mur en pierre sèche. + une liste des contacts des professionnels de la pierre-sèche
    Ce document est téléchargeable ci-dessous et peut-être demandé en format papier par mail à accueil@pnrma.fr

Mission suivie par

Pascaline Roux

- Chargé de mission

Energie, Climat et Pierres-sèches

Tél. : 04.75.36.38.69

- Portable : 06.10.65.32.70